Date(s)

09/03/2022 
29/03/2022

Lieu

75013 Paris 

Infos pratiques

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
73 avenue des Gobelins
75013 Paris

Site web & Social media

Présentation

Félix Ribeiro a débuté une méticuleuse collecte du cinéma muet portugais dans les années 1930, menée en parallèle de son poste de fonctionnaire au sein des services de propagande cinématographique du régime de Salazar. En 1948, quand la dictature crée la Cinemateca Nacional, il en devient le directeur. La Cinemateca poursuivra son oeuvre et restaurera les titres emblématiques du cinéma muet sur plusieurs périodes, en fonction des avancées techniques en matière de conservation et de restauration de film.

Ce cycle montre la diversité de ce cinéma qui s’étend des adaptations littéraires jusqu’aux expérimentations liées au mouvement européen des avant-gardes des années 1920. Il explore par ailleurs d’autres œuvres originales difficiles à classer.

Dans une première période, la société Invicta Film (1910-1924) fonde une infrastructure ambitieuse comprenant des studios et des laboratoires. Elle engage des réalisateurs et des techniciens français pour jeter les bases d’une industrie cinématographique au Portugal. Ils s’inspirent du modèle du Film d’Art et adaptent de grands classiques de la littérature portugaise du XIXe, interprétés par les acteurs de théâtre portugais. De somptueuses reconstitutions de l’époque sont tournées en studio. A Rosa do adro est le premier long métrage du cinéma portugais et Amor de Perdição la première adaptation du roman éponyme de Camilo Castelo Branco. En 1978, Manoel de Oliveira adaptera également le roman et reprendra plan par plan la fameuse séquence de parade nuptiale présente dans le film muet.
Les films de l’Italien Rino Lupo sont, quant à eux, tournés en décors extérieurs dans les régions montagneuses du centre du pays, avec des acteurs amateurs qu’il forme lui-même. Malgré la prégnance du drame pittoresque et régionaliste dans Mulheres da beira et Os Lobos, il crée une rupture par rapport à Invicta Film, notamment en reproduisant le rapport entre paysage et intrigue propre au cinéma scandinave. Cette sensibilité doit beaucoup à sa connaissance du monde et à son parcours professionnel qui l’a conduit à travailler dans les principales capitales d’Europe avant d’arriver au Portugal.
Les réalisateurs français Maurice Mariaud et Roger Lion réalisent au Portugal des œuvres tout aussi inventives. Dans Os Faroleiros, la photographie lumineuse des extérieurs maritimes de la région de Lisbonne contraste avec l’atmosphère claustrophobe du phare dans lequel doivent cohabiter deux gardiens. Os Olhos da alma est un drame tourné dans le village de pêcheurs de Nazaré, qui deviendra par la suite le décor de nombreux films portugais. Ecrit et produit par Virgínia de Castro Almeida, pionnière du cinéma portugais, ce film est le seul de cette première période à aborder la situation politique contemporaine. Le pays est marqué par l’agitation et la violence des troubles politiques successifs qui suivent le renversement de la monarchie et l’instauration de la République en 1910. La critique de cette agitation politique, l’éloge de l’ordre social rural, mais aussi la représentation généralement négative des politiciens et de la politique, annoncent ce qui, trois ans plus tard en 1926, ouvrira la voie à la future dictature de Salazar.
D’autres films singuliers apparaissent et explorent des formes cinématographiques alternatives. O Fauno das montanhas est une œuvre aux contours fantastiques, tournée dans les merveilleux décors naturels de Madère, et qui a pour sujet des créatures mythiques qui se meuvent entre rêve et réalité. Reinaldo Ferreira est l’un des plus prodigieux écrivains et journalistes portugais du XXe, connu sous le pseudonyme « Reporter X » pour ses reportages sensationnalistes (parfois entièrement inventés). Sa comédie Rita ou Rito ?! oscille entre réel et rêverie, effleurant l’absurde et abordant l’ambiguïté des genres. O Táxi n.º 9297 est également basé sur une histoire vraie, le meurtre d’une actrice lisboète par son agent. Cette affaire a été couverte par la presse à sensation, notamment par Reporter X. Son adaptation cinématographique est inspirée par les serials et la littérature de suspens et d’horreur.

Toute cette production sera cependant considérée comme profondément anachronique par une nouvelle génération de critiques de cinéma, futurs réalisateurs, tels que Jorge Brum do Canto, António Lopes Ribeiro, Leitão de Barros, et Manoel de Oliveira.
A Dança dos paroxismos est dédié à Marcel L’Herbier, hommage possible aux avant-gardes cinématographiques françaises, c’est une histoire onirique très librement adaptée de la nouvelle Les Elfes de Leconte de Lisle. Lisboa, Crónica Anedótica est une déclinaison méridionale des grandes symphonies urbaines européennes. Le film rassemble des citations et des thèmes du travail de Walter Ruttmann sur Berlin tout en annonçant, à travers divers sketchs humoristiques interprétés par acteurs de théâtre, ce que seront les futures comédies portugaises des années 1930 et 1940. C’est une synthèse brillante des diverses influences issues des nombreuses activités professionnelles de ce metteur en scène – pionnier du photomontage dans la presse portugaise et metteur en scène de théâtre moderne – une ode à Lisbonne et aux lisboètes, un traité sur les tensions entre tradition et modernité dans une petite ville du sud de l’Europe.

Nous montrerons également une séance historique quasiment telle qu’elle a été présentée au public pour la première fois, à Lisbonne, lors du Congrès international de la critique le 19 septembre 1931. Elle comprenait le premier film sonore portugais, A Severa (de Leitão de Barros) et les documentaires muets Nazaré, praia de pescadores, Alfama, Velha Lisboa et Douro, faina fluvial. Nazaré est une première incursion de Leitão de Barros dans l’univers du village de Nazaré, sur lequel il reviendra dans Maria do mar. Alfama est l’œuvre unique et surprenante d’un médecin, cinéaste amateur, sur l’un des quartiers historiques les plus connus de Lisbonne. Douro a été présenté comme « le premier documentaire d’art portugais » et, par la volonté expresse de son réalisateur Manoel de Oliveira, sans aucun accompagnement musical, ce qui a divisé le public composé de critiques portugais et étrangers. Il sera sonorisé deux fois : en 1934 par Luis de Freitas Branco, puis en 1994, sur une musique d’Emmanuel Nunes.

Pour conclure, le film le plus important de ce cycle est sans aucun doute Maria do mar. Souvent considéré comme le meilleur long métrage du cinéma muet portugais, il est désormais présenté dans une nouvelle copie numérique restaurée et avec la musique originale de Bernardo Sassetti, interprétée par l’Orquestra Sinfonietta de Lisboa et par Bernardo Sassetti. Cette synthèse des avant-gardes cinématographiques européennes des années 1920 combine une composition et un montage très innovants d’un point de vue formel, doublés d’un regard ethnographique sur la communauté de pêcheurs de Nazaré. L’équilibre entre modernité et tradition, la fluidité entre documentaire et fiction, font de ce film une œuvre fondatrice dans l’histoire du cinéma portugais et un repère du cinéma muet européen.

Tiago Baptista, Cinémathèque portugaise

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