Jorge Torres Pereira


Ambassadeur du Portugal en France

– Le 10 juin, c’est le jour du Portugal, de Camões et des communautés portugaises. Depuis quelques semaines, le Portugal a passé plus de temps en démocratie qu’en dictature. Quel bilan tirer des 48 années qui viennent de s’écouler ?

Un bilan très positif. Il n’y avait auparavant pas de vie politique démocratique, et nous étions en guerre sur plusieurs fronts dans les colonies. Le Portugal était isolé internationalement, nous nous étions rapprochés de l’Europe, via EFTA, mais nous courrions le risque de voir l’intégration européenne se faire sans nous ; les chiffres de notre développement économique et social n’étaient pas brillants. Le chemin que nous avons parcouru ces dernières décennies est remarquable, même avec des périodes de crise que nous avons dépassées avec résilience et détermination. Comme l’a rappelé le Premier ministre António Costa le 23 mars, soit le 17.500ème jour vécu en démocratie (dépassant ainsi les 17.499 jours qu’a comptés le régime de l’‘Estado Novo’), il est très important de ne pas baisser la garde : « la liberté et la démocratie sont toujours des œuvres inachevées et ne sont jamais immunes aux menaces ».
Oui, il y a un nouvel essor des populismes, comme un peu partout en Europe, et une guerre à nos portes, mais force est de constater qu’un long chemin de progrès a été parcouru, soutenu justement par le choix européen que les Portugais ont fait, le Portugal faisant partie de l’Union européenne depuis 1986. Il y a toujours de nouveaux défis et enjeux d’actualité qui s’installent au cœur du débat politique et qui mènent à un enrichissement et à un approfondissement de notre vie démocratique. Ces sujets sont également abordés dans la dynamique de la Saison France-Portugal. Et on peut noter que notre la Constitution, issue de la Révolution des Œillets, a bien compris que la culture était l’un des enjeux de la démocratie. Comme en France d’ailleurs, on a « constitutionalisé » le droit à la culture. La Saison s’inscrit donc dans ces idées que partagent nos deux pays : celles de la démocratisation de l’accès à la culture et de la promotion de la liberté de création de nos artistes.

– La Saison France-Portugal arrive à mi-parcours, quel premier bilan pouvez-vous en tirer ?

A mi-parcours, le public est venu nombreux, ce qui témoigne qu’ils ont bien accueilli la programmation dans le domaine de la culture, de l’éducation, de l’enseignement supérieur et scientifique, comme l’a par exemple montré le « Forum Océan » qui s’est tenu au Muséum national d’Histoire naturelle par ailleurs une étape dans la préparation du sommet des Nations Unies sur les Océans qui aura lieu à Lisbonne fin juin. Les cinq axes autour desquels la Saison a été dessinée ne sont pas sans rappeler des sujets importants qui nous concernent tous : « Un océan commun à préserver », « Une société plus inclusive, pour l’égalité de genre en Europe », « Une jeunesse innovante et engagée », « Des liens de proximité et d’intimité » et « Création contemporaine et Europe de la culture ».
Les événements organisés par le Portugal et la France se tiennent dans plus de 80 villes françaises, ce qui permet une mobilisation de très nombreux partenaires ; la couverture géographique nous permet de toucher un vaste public.

– Dans quelle mesure pensez-vous que cette Saison va contribuer renouveler l’image du Portugal en France ?

Je crois que ce ne sera pas une surprise pour beaucoup que l’image du « Portugais toujours gai », et la tentation de nous voir comme très gentils mais un peu en retard par rapport aux plus récents développements du monde, ne rendent pas justice à la réalité du Portugal contemporain.
La Saison permettra donc de renforcer cette prise de conscience que nous avons vraiment changé. Que nous avons réussi à relever le pari qui consiste, pour tous les pays dotés d’une longue histoire, à assumer de se réinventer, en embrassant, en tant que nations, la modernité et le progrès hors de nos « zones de confort », mais sans renier notre authenticité. L’offre de la Saison en évènements, dans toutes ses dimensions, de la science aux arts, des lettres à l`économie politique, constituent un puzzle qui dessine un Portugal attrayant, espiègle et sérieux en même temps, en relation complice avec une France également éprise de ses atouts et de sa modernité.
Je pense que la Saison contribuera donc à montrer le pays que le Portugal est devenu : un pays attaché à ses racines, une démocratie européenne, très moderne, avec une production culturelle de renommée mondiale, un puissant écosytème de start up, un pays qui est à la pointe de la technologie sur plusieurs domaines et dont l’offre en études supérieures est très bien placée dans les classements internationaux.

– Et l’image de la France au Portugal ?

A ce sujet, la grande contribution de ces dernières années a été l’essor impressionnant de la présence de visiteurs français au Portugal, incluant une communauté toujours croissante de résidents français. Nous connaissons mieux les Français qu’auparavant -on prétend même que les habitants de certaines métropoles françaises, qui ont la réputation d’avoir des difficultés avec la convivialité en société, deviennent très gentils quand ils sont chez nous ! Nous sommes plus curieux, plus ouverts à votre offre culturelle et sociétale. La Saison ne peut qu’amplifier cela.

– La communauté portugaise en France est très présente, avec un tissu associatif très dense et actif, qu’est-ce qu’une Saison peut selon vous apporter aux luso-descendants ?

Je crois que, d’un côté, la Saison peut stimuler l’action des associations de luso-descendants et des Portugais en France qui voudront faire partie de la fête, et pour ainsi dire les faire émerger d’un profil qui reste très discret au sein de la société française. D’un autre côté, la Saison permet aussi de renforcer, à travers ce que les artistes et chercheurs portugais nous montreront ici, le dialogue permanent entre le Portugal de « là-bas » et la communauté portugaise résidente en France, notamment en impliquant davantage les jeunes. La Saison leur montre un Portugal européen, démocratique, très moderne, dont ils peuvent être fiers, qui ne leur est pas inconnu et qui leur parle des choses qui les intéressent, comme le bien-être de la planète notamment. Certains se sentiront comme devant un livre que nous aimons relire, pour beaucoup ce sera une redécouverte.

– Le Président de la Saison France-Portugal 2022 et ses deux commissaires ont travaillé en étroite collaboration pour construire une programmation commune. Comment définiriez-vous le rôle de l’Ambassade du Portugal en France et de l’Institut Camões dans cette organisation ?

Quand nous avons pris la décision courageuse de tout faire simultanément, c’est-à-dire d’avoir des évènements qui ont lieu en France et au Portugal pendant tout le temps de la Saison, au lieu de deux périodes distinctes, les Commissaires ont été obligées d’être en rapport constant et permanent. Le Président, de par son histoire personnelle et son engagement culturel, a encore rajouté à cette interconnexion d’idées et d’initiatives. L’Ambassade fait partie de ce réseau dynamique qui est une espèce d’Intelligence artificielle qui reçoit et gère les informations arrivant de toutes parts, des institutions, des acteurs culturels, des publics, des médias. L’Ambassade du Portugal en France, l’Institut Camões, ainsi que le GEPAC du ministère de la Culture sont les partenaires portugais de l’Institut Français dans la construction, la mise en place et l’accompagnement de la Saison avec les deux Commissaires et son Président. Nous travaillons en très étroite articulation, je peux même dire en presque symbiose.

– La France et le Portugal sont des alliés de longue date au sein de l’Europe, en quoi est-ce symbolique d’avoir voulu cette Saison entre les deux présidences de l’Union européenne ?

Je dirais que c’est de plus en plus évident que les deux États et ses dirigeants partagent «une certaine idée de l’Europe » ; il en ressort un alignement clair et presque parfait de la façon dont, un an plus tard, le Portugal et la France, entendaient contribuer pendant leurs présidences respectives du Conseil de l’Union européenne, à l’avancement d’un projet au service d’une Europe ouverte au monde, confiante dans le modèle social européen, proche des préoccupations majeures de ses citoyens, extrêmement attentive à la nécessité de mener des politiques qui prennent en compte le changement de paradigme du fonctionnement de nos économies avec la révolution numérique, et le besoin de mener à bout une urgente transition écologique. Tout cela, et le rôle particulier que la culture peut jouer dans le façonnement du projet européen, rendait très attrayante l’idée d’une « Saison croisée » dans cette période « entre-présidences ».

– Qu’est ce qui caractérise selon vous les relations entre la France et le Portugal ?

Un esprit d’alliance née des valeurs que partagent nos deux pays, comme l’a rappelé le Président de la République portugaise à l’Elysée lors de l’inauguration de la Saison. Une proximité historique également. Nul ne peut nier l’influence de la culture française au Portugal. La première dynastie du Royaume du Portugal était d’origine bourguignonne. Le libéralisme, nous l’avons reçu en partie grâce à l’action de Napoléon. La France a beaucoup inspiré nos écrivains et nos peintres au 19ème siècle. Ce n’est pas non plus une coïncidence si en 1910 le pays change de nom et de régime et adopte la désignation « République portugaise » qu’il porte encore. Finalement, le Portugal a suivi la France dans le choix européen et dans le choix démocratique. Et il y a aussi le lien particulier qui résulte de la présence d’une très importante communauté de Portugais et luso-descendants en France, qui rend encore plus fluide la relation entre les deux sociétés. Cet esprit, cette proximité, ce lien ont bâti une amitié. Oui, la Saison est quelque part le prolongement culturel de cette amitié inébranlable qui est à la fois politique, économique, historique et même axiologique.

– Si vous deviez recommander quelques événements à venir de la Saison France-Portugal 2022, quels seraient-ils ?

Poser cette question c’est un peu comme demander à un diplomate quel club de football il trouve le meilleur, ou à un parent quel est son enfant préféré ! Les manifestations de la Saison sont si nombreuses qu’il m’est difficile d’en nommer juste deux ou trois. Chacun de nous a ses arts ou discipline préférées et je vous assure qu’il y a des évènements pour chacune de nos idiosyncrasies. Qui plus est, nous ne sommes qu’à mi-parcours. Une des qualités de la programmation est de permettre jusqu’à fin octobre d’innombrables découvertes, à Paris et en région. J’invite les lecteurs et lectrices de cette newsletter et ceux et celles qui sont abonné.es à la « newsletter » du Camões à bien regarder les suggestions qui y sont faites. Et notre participation aux grands festivals gastronomiques ne doit pas être oubliée…

– Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de cette Saison ?

J’aimerais qu’on retienne la chaleur optimiste, l’empathie élégante, la grande intelligence émotionnelle, la créativité aventureuse et le sens de fête qui ressortent lorsque Français et Portugais ont un projet commun de cette envergure. Dans la mer de l’Europe, et par le monde, nous pouvons naviguer ensemble.