Gilbert Fillinger


L'ancien directeur de la Maison de la Culture d'Amiens dirige l'association Art & Jardins Hauts-de-France, productrice d’œuvres contemporaines – paysagères et plastiques – dans l’espace public dont les Jardins de la Paix. Le 2 avril, sur les lieux de la la bataille de la Lys, est inauguré le Jardin de la Paix portugais.

Un Jardin de la Paix portugais est inauguré à Richebourg, quel est le concept de ces Jardins de la Paix ?

L’idée est née au moment du centenaire de 14/18, avec les commémorations de la Première Guerre mondiale. A l’époque j’étais directeur de la Maison de la Culture d’Amiens. J’ai organisé un spectacle pour la Mission du Centenaire et à la fin de ce spectacle Joseph Zimet, à la tête de la Mission du Centenaire, m’a proposé de continuer à travailler avec la Mission. Je lui ai dit : « Travailler sur la mémoire, sur la commémoration c’est bien mais que restera t-il de physique, de tangible ?  »
Nous étions engagés à la Maison de la Culture d’Amiens sur le Festival international de jardins – Hortillonnages Amiens. De son côté le président de la région Hauts-de-France , Xavier Bertrand, m’avait proposé d’étendre ce travail autour des jardins sur l’ensemble de la région. Les deux propositions étaient presque concomitantes. C’est là que m’est venue l’idée des Jardins de la Paix. Un jardin c’est l’endroit de la paix idéal, c’est l’endroit de la nature, de la vie, de la renaissance annuelle. L’endroit où on se retire, le Jardin d’Eden… Quand on veut respirer, on va dans un jardin. Quand on veut se détendre, on va dans un jardin.  L’homme a toujours construit des jardins pour son bien-être.

Quelle est la place de l’art dans les Jardins de la Paix ?

L’idée c’est d’inviter des artistes paysagistes ou architectes venus des pays qui ont participé à la guerre, et leur demander de réfléchir non pas de façon mémorielle parce que tout ça, ça a été fait, et très bien fait, on ne va pas le refaire, mais de se projeter, de poser des questions d’aujourd’hui. Créer des lieux où on peut s’asseoir, réfléchir, méditer, partager être ensemble et refuser cette barbarie. Et aussi se poser des questions de ce que va être notre futur. Là il n’est pas joyeux dans l’immédiat mais il sera encore moins joyeux dans 30 ou 40 ans. Les nouvelles générations qui naissent aujourd’hui que vont-elles avoir ? Que va-t-on leur laisser ? Il y a toutes ces réflexions autour des Jardins de la Paix : la paix aujourd’hui, la paix demain, mais aussi l’écologie, le changement climatique, le vivre ensemble…

Les artistes ont une parole, c’est ça qui est important. Ils s’expriment à travers le matériau vivant de la nature et le magnifient en portant un message de Paix.

Forcément ces jours-ci, ça a une résonance forte parce qu’on se dit « ça y est, c’est reparti ! »

Quelle est la genèse du Jardin de la Paix portugais ?

Pendant la Première Guerre mondiale, il y a eu, à côté de Richebourg, la bataille de la Lys, une bataille extrêmement importante pour les Portugais. Les Portugais étaient à la tête des Alliés à ce moment-là et ils ont eu des milliers de disparus dans cette bataille. Ils étaient alliés aux Britanniques qui avaient dans leurs troupes des Indiens. Il y aura donc deux autres Jardins de la Paix dans les environs du Jardin portugais : un Jardin de la Paix indien et un britannique. Beaucoup de morts sur place sont à déplorer dans cette bataille. Il y a des corps enterrés et un cimetière portugais dans la périphérie de Richebourg, c’est pour ça que c’est un lieu extrêmement important symboliquement.

C’est donc à Richebourg que j’ai pensé faire ce jardin portugais. En premier lieu ça n’a pas été possible. Nous avons donc décidé de le faire à Le Quesnoy. Le cabinet a été choisi, le projet validé. Puis il y a eu des changements de lieu, nécessitant un nouveau projet et de nouvelles complications. Ça a duré plusieurs mois. Et finalement, le maire de Richebourg s’est dit intéressé. Son successeur aussi, c’est donc sur les lieux de la bataille de la Lys que ce Jardin de la Paix est finalement érigé. Et c’est très bien. Richebourg, c’est l’endroit symbolique martyr pour les Portugais.

Comment s’est fait le choix des architectes et paysagistes ?

Il y a un studio d’architectes et un studio de paysagistes qui se sont associés pour créer ce Jardin de la Paix. Le choix s’est fait au printemps 2018. Il y avait deux candidats. De très haut niveau. D’un côté de jeunes cabinets, qui ont gagné des concours, qui ont une réputation internationale très importante et de l’autre une très grande agence. Le jury a choisi l’équipe jeune,  Ricardo Gomes (KWY.studio) & Samuel Alcobia (BALDIOS)

Pouvez-vous nous décrire le Jardin de la Paix portugais ?

C’est une grande table magnifique en marbre qui vient du Portugal . À l’intérieur de cette grande table, se trouve un jardin L’ensemble est entourée par une forêt qui n’existe pas encore. Le projet ne sera pas totalement fini à l’inauguration mais c’est parce qu’un jardin ne se fait pas en 15 jours. Toute la table a été faite au Portugal. C’était vraiment important. Le Portugal a été très impliqué dans le projet. Le Ministère des Armées portugais ainsi que des mécènes portugais nous ont aidés, ainsi que  la région Hauts-de-France, qui porte l’ensemble du projet des Jardins de la Paix, et des mécènes régionaux.

C’est une belle histoire que l’on est en train d’écrire : c’est un producteur français qui invite une équipe portugaise à créer une œuvre qui s’est créée en partie au Portugal et qui se termine en France. Cela a du sens pour l’histoire de notre pays et du Portugal puisque c’est très important pour eux et pour nous évidemment aussi. Parce que sans ces Portugais morts en France, sur le champ de bataille, nous ne serions pas là.

 

Le parcours paysager sur les lieux de la Grande Guerre

 

Projet paysager unique sur les sites emblématiques du souvenir de la Première Guerre mondiale, l’association Art & Jardins | Hauts-de-France, la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale et le Ministère des Armées ont élaboré un parcours créatif et innovant aux couleurs des nations meurtries qui embrassent conjointement la cause de la pacification du monde contemporain. Depuis 2018, année de célébration du centenaire de la fin de la Grande Guerre, 20 Jardins de la Paix ont été créés dans les Hauts-de-France, en Belgique et désormais dans le Grand Est.

 

Réalisation du Jardin de la Paix portugais de Richebourg / Photos des maquettes

KWY.studio (Ricardo Gomes with Rui Alves, Rebecca Billi, Sara Cálem, Luise Marter, Max Théréné and Allegra Zanirato); BALDIOS (Samuel Alcobia, Pedro Gusmão, Joana Marques and Catarina Raposo