Emmanuel Demarcy-Mota


Le Président de la Saison France-Portugal 2022 en tire un premier bilan

La Saison France-Portugal a débuté en février 2022 et se termine ce mois d’octobre. Elle a traité de plusieurs thèmes comme l’égalité de genre, la parité, le développement durable, l’océan, la diversité et l’inclusion. Pourquoi ces choix ?  Sont-ils essentiels selon vous aujourd’hui ? 

Il est en effet important de rappeler que cette Saison France-Portugal 2022 n’était pas seulement la volonté de célébrer les arts, la science et les cultures de nos deux pays mais aussi, et ce fut mon souhait le plus cher, d’embrasser toutes les thématiques que vous évoquez. À mes yeux, il s’agit davantage d’une nécessité que d’un choix car nous devons écouter et aborder les questions de nos sociétés respectives qui portent en elles les nouveaux combats de notre temps : l’environnement, la jeunesse, la question de l’inclusion, la question du genre et de l’intersectionnalité. Ainsi, pendant 9 mois et deux ans de travail en amont, nous avons œuvré pour que les projets défendus par cette Saison entre les deux pays embrassent toutes ces problématiques en exprimant leurs singularités et leurs façons d’habiter le monde.

Notre volonté est plus ample, celle d’insuffler, par une collaboration de deux pays européens en regard de leurs histoires respectives, une Europe de la culture, de l’ouverture et du partage. C’est un engagement fort, dans un contexte de crise, de guerre aux portes de l’Union européene et de repli sur soi. Face à ces urgences, nous avons voulu proposer une vision créative et positive du monde.

C’est pour cela que la Saison France-Portugal 2022 se devait d’accompagner toutes les innovations – qu’elles soient celles de la pensée, de la science ou des entreprises – et être un catalyseur puissant en un processus combiné de réflexion et de création. Il était donc très important pour moi que nous puissions proposer un grand nombre de projets spécifiques : le Forum sur l’égalité à Angers et Guimarães (qui s’est tenu les 18,19 et 20 octobre 2022), le forum sur les Océans, les collaborations scientifiques inédites, les festivals et les spectacles avec des jeunes artistes français et portugais, les collaborations scientifiques binationales, les moments de fête, les appels à la création…

Nous avons eu la chance de vivre un week-end d’ouverture de la Saison (février 2022) d’une grande richesse avec des artistes ambassadeurs comme la très grande pianiste Maria João Pires et les chanteurs de fado Carminho et Camané. Ce même week-end, le Théâtre de la Ville et le Théâtre du Châtelet s’étaient associés pour réunir et inviter la jeune scène musicale portugaise, créant la surprise avec les groupes Sopa de Pedra, João Berhan et Luca Argel. Depuis ce week-end d’ouverture, près de 400 projets ont vu le jour, créant des amitiés nouvelles et des collaborations pérennes. Tout cela fut (et est encore) une ode à la diversité si nécessaire pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Très bientôt, à la fin du mois d’octobre, nous célébrerons la clôture de la Saison à Lisbonne avec des artistes des deux pays.

Quel a été votre rôle en tant que président de la Saison France-Portugal 2022 ?

Tout d’abord, je voudrais dire que je suis très heureux d’avoir été nommé par les ministères des Affaires étrangères et de la Culture des deux pays. C’est une situation exceptionnelle d’être nommé par deux gouvernements. J’ai la chance en tant que président d’avoir une équipe extraordinaire, ainsi que Manuela Júdice et Victoire di Rosa comme commissaires générales. Leur travail et leur volonté de co-construire un programme et de suivre cette idée qui est pour moi fondamentale, « deux pays une seule équipe », a permis le très bon déroulement de cette Saison. Il faut imaginer la Saison comme une célébration d’amis, le lieu de rencontres pour l’avenir et dont le collectif est la force première.

Ainsi, mon rôle comme président est d’abord de créer des ponts, de nouvelles passerelles entre deux pays que je connais bien et leurs structures respectives afin de produire des liens d’amitié et de dialogues qui puissent être le moteur de créations et de partenariats à venir. Parler du collectif n’est pas juste un mot vain. Faire du collectif, aujourd’hui, n’est pas une chose si évidente, surtout après une pandémie qui nous a tous enfermés, souvent de façon très solitaire. Là encore, il s’agit d’une nécessité.

Retrouver le goût d’être ensemble fut aussi le cap de cette saison. Et ce rôle ne put être tenu que grâce à Manuela Júdice et Victoire di Rosa ainsi que l’Institut français, le Camões et le Bureau de la Stratégie, de la Planification et de l’Évaluation Culturelles (GEPAC) – Ministère de la Culture du Portugal, dont le dynamisme et le travail extraordinaire sont le reflet de la qualité et de la grande et belle diversité des projets qui ont vu le jour au Portugal et en France.

Le rôle des commissaires est à cet égard éminemment créatif : elles doivent faire le lien et inventer avec chaque partenaire des modalités, des projets spécifiques qui, additionnés, ont formé l’identité, la vitalité et la personnalité de cette Saison.

 

Vous êtes français mais votre mère est d’origine portugaise, quel lien entretenez-vous avec le Portugal ? Cette Saison revêt-elle pour vous une émotion particulière du fait de vos origines ? 

Bien sûr ! Il est rare de pouvoir célébrer deux cultures en même temps. Plus que cela, il est rare de pouvoir les lier de façon palpable et de célébrer une amitié culturelle et créative avec tant de force et de possibilités. Les personnes binationales ou qui ont vécu dans plusieurs pays savent ce qui éclot à l’intérieur d’elles : les différents us et coutumes, les différents modes de faire, de consommer, d’aimer, de parler… Cette double culture est une chance, et cette Saison a souhaité mettre cette chance en partage pour donner lieu à une dynamique qui s’élargit, se diffuse, rayonne et réveille.

Mon lien avec le Portugal est très fort et l’a toujours été. Ma mère portugaise, Teresa Mota, exilée en France en 1962 était une grande amoureuse de ce pays et de sa culture ; Mon père français, Richard Demarcy, était quant à lui amoureux du Portugal et de son histoire. Ils m’ont transmis chacun à leur manière leurs goûts pour ces deux cultures, passions, façons de faire et de vivre. Plus que cela, ils ont entrelacé et enrichi en théâtre et en littérature, en musique et en arts les deux patrimoines de la France et du Portugal. J’ai la chance de le faire aujourd’hui à ma manière comme président de cette Saison et de chercher à le partager avec le plus grand nombre.

Le Portugal et la France ont une histoire en commun. Ce passé est-il important pour vous lors de cette Saison ? 

Le plus important, me semble-t-il, est l’histoire commune que nous souhaitons vivre demain. Quel héritage le passé nous donne-t-il et vers où nous mène-t-il ?

Le Portugal est sorti d’une dictature depuis moins de 50 ans. La plupart des grands artistes antifascistes qui ont fui cette dictature sont venus à Paris pour créer. Ce fut le cas des illustres chanteurs portugais des années 60 et 70 tels que José Mario Branco, Sergio Godinho, José Afonso. Ce que les gens savent moins c’est que Jacques Brel, Léo Ferré et Georges Brassens ont tous, comme artistes, beaucoup influencé ces créateurs portugais.

En même temps, la diaspora portugaise venue en France, qu’elle soit intellectuelle ou non, a eu un rôle très important dans la construction de la France. Elle a façonné la France. Plus récemment, on a pu voir un grand nombre de Français partir habiter au Portugal. Il existe un flux constant entre nos deux pays, un flux de personnes, d’idées, de connaissances, de sciences et d’arts.

Cette Saison est le résultat de cette amitié et de ces héritages. Elle est aussi une façon d’insuffler à cette amitié une composante plus contemporaine, pour un avenir meilleur et créateur. Une Europe qui défend un nouvel humanisme pour ce XXIeme siècle.

Quel bilan tirez-vous de cette Saison ?

Plusieurs bilans ! Cette Saison fut une réelle réussite sur tous les plans. Nous avons proposé des programmes binationaux inédits, accompagné des artistes portugais qui n’étaient jamais venus en France et vice et versa, vu un nombre époustouflant de nouvelles créations, fait collaborer des lieux qui ne s’étaient jamais rencontrés et parlés… Ainsi, nous avons réussi à créer des liens, des amitiés, des nouvelles cartographies de travail, ce qui était l’une des grandes ambitions de cette Saison. Nous avons montré que le travail collectif entre deux pays permet de réaliser des choses extraordinaires.

Ensuite, les thématiques que nous avons défendues tout au long de la Saison, nous l’avons vu, sont plus essentielles que jamais. Que nous parlions d’inclusion ou d’environnement, de créations ou d’ouverture d’esprit, il nous faut continuer ces combats, toujours, quelles que soient les difficultés. Au long de la Saison France-Portugal 2022, la guerre en Ukraine a éclaté, et nous voyons un rejet de l’autre de plus en plus clamé dans certaines régions du monde. Il me semble que cette Saison a su montrer par son travail et ses projets qu’il est important de garder une vision positive du monde et des peuples.

Enfin, Le bilan principal est sans doute celui-ci : cette Saison ne prend pas fin. Car nous avons créé des liens indéfectibles entre les institutions et les êtres, de nouvelles amitiés. La Saison franco-portugaise, luso-française est rhizomique et pérenne grâce au grand travail des équipes. Une saison de deux pays qui s’inscrit dans une Europe ouverte sur le monde.

Il y aura un après Saison, je m’y engage, car il s’agit d’un espoir pour la jeunesse des deux pays comme pour l’Europe de la Culture. Nous devons évidemment le faire avec modestie au vu du contexte difficile de 2022 – la guerre en Ukraine ainsi que les autres crises dans le monde – et afin d’affirmer notre engagement pour la fraternité et la solidarité.